Votations: deux cantons se prononcent sur l’utilisation du sol. Interview d’Anne DuPasquier

02.12.20

Anne DuPasquier

Anne DuPasquier, experte du développement durable et membre du comité de l’Initiative paysage.

Le canton de Lucerne a refusé deux initiatives populaires qui proposaient de mieux protéger le sol cultivable : quelles sont les conséquences de ce refus ?

On regrette toujours quand on perd ! Au-delà de la déception du résultat de la votation, c’est un test dont il faut essayer de tirer des enseignements. Il faut maintenant continuer à regarder vers l’avant, tout en analysant les raisons de ce refus. Le paysage agricole, et en particulier les surfaces d’assolement, doit être mieux protégé. Les enjeux de la votation n’ont probablement pas suffisamment été détaillés. Le contre-projet du gouvernement cantonal, accepté de justesse, n’est certes pas suffisant mais montre qu’une prise de conscience émerge.

Quel est le message pour le reste de la Suisse ?

Il faut continuer à expliquer que nos sols et nos paysages sont sous une pression croissante et que l’Initiative paysage permet d’y mettre fin. Son but est de mieux protéger le paysage agricole dans toute la Suisse. D’une part, nous devons éviter par des règles claires la disparition constante des terres cultivables, et cela va dans le sens de garantir à la population suisse une alimentation indigène de qualité. Le Conseil fédéral vient de mettre en consultation sa Stratégie développement durable 2030 et a fait de l’alimentation l’un de ses trois thèmes prioritaires. Il stipule notamment que les bases naturelles de la vie doivent être conservées et il veut, entre autres, favoriser des modes de production respectueux de la société́ et de l’environnement. En période de crises, les circuits courts et diversifiés regagnent du terrain, et la qualité de l’alimentation a aussi des effets sur la santé. L’Initiative paysage veut contribuer à une approche plus durable.

D’autre part, le paysage est une ressource, à la base de notre tourisme et constituant de notre qualité de vie. Il y a une grande demande pour des espaces de détente proches des zones urbanisées. On le voit en cette période de confinement dû au Covid-19: beaucoup de personnes, y compris parmi les jeunes, découvrent – ou redécouvrent – la nature et s’émerveillent des beautés de notre campagne et de nos milieux naturels.

On ne peut par ailleurs dissocier la préservation du paysage et la protection de la biodiversité, qui se trouve en situation alarmante, en Suisse, comme dans le monde. En protégeant nos paysages, c’est donc aussi la biodiversité qui est favorisée.

Quelles sont les conséquences du refus lucernois pour l’Initiative paysage ?

La communication doit être intensifiée. La gestion des conflits doit être gérée de manière transparente. En expliquant mieux tous les enjeux (réchauffement climatique, déclin de la biodiversité, risques pour l’avenir de l’agriculture et du tourisme, etc.), il est possible de convaincre davantage de catégories de population de la nécessité d’agir rapidement.

L’aménagement du territoire est une thématique complexe et souvent source de conflits : la solution se trouve-t-elle au niveau national ou cantonal ? Est-ce que d’autres cantons devraient aussi se lancer sur ce chemin et lancer leur propre initiative ?

Effectivement la gestion du territoire est une affaire complexe, et c’est une démarche difficile de trouver un équilibre entre les différents intérêts, avec de nombreux acteurs impliqués. 

En ce qui concerne les constructions hors zone à bâtir, c’est la Confédération qui est responsable. Au niveau cantonal, le lancement de telles initiatives sur ce sujet délicat permet de lancer le débat dans la population. Le week-end dernier par exemple, les Genevois, ont refusé de dézoner une zone agricole, pour légaliser une aire de stockage de déchets de chantier. C’est la preuve que le sujet infuse dans la société et qu’elle y est sensible. Ce ne sont pas des discussions réservées aux seuls experts ; la population doit y être associée. La gestion du paysage est multidisciplinaire et seule une approche globale impliquant tous les acteurs concernés pourra conduire à une solution.

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